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javierdelgado

SOMALIA: ¿GUERRA REGIONAL EN EL CUERNO DE ÁFRICA? ISLAMISMO, SEÑORES DE LA GUERRA, FRONTERAS LOCALES E INTERVENCIÓN NORTEAMERICANA. UN DEBATE APASIONANTE SOBRE UNA REALIDAD DOLOROSA (Y PELIGROSA)

SOMALIA: ¿GUERRA REGIONAL EN EL CUERNO DE ÁFRICA? ISLAMISMO, SEÑORES DE LA GUERRA, FRONTERAS LOCALES E INTERVENCIÓN NORTEAMERICANA. UN DEBATE APASIONANTE SOBRE UNA REALIDAD DOLOROSA (Y PELIGROSA)

 Transcribo, por su intérés, el Chat sobre la guerra en Somlia que publica hoy Le Monde.

Guerre régionale dans la Corne de l'Afrique ?
LEMONDE.FR | 08.01.07 | 16h27  •  Mis à jour le 10.01.07 | 12h51


L'intégralité du débat avec Philippe Bernard, journaliste au "Monde" de retour de Somalie, mercredi 10 janvier 2007

Philippe Bernard : Ils sont de deux ordres : les Erythréens, qui se sont affrontés avec les Ethiopiens à de nombreuses reprises, ont participé aux combats aux côtés des islamistes contre l'intervention éthiopienne, et d'autre part, les groupes qui à l'intérieur même de l'Ethiopie revendiquent leur autonomie : la province de l'Ogaden et celle de l'Oromo ont aussi été du côté des islamistes dans le but de déstabiliser l'Ethiopie. Pour l'instant, les combats se sont déroulés à l'avantage de l'Ethiopie, mais si les choses devaient continuer et la guérilla s'installer, il est évident que par ce jeu d'alliances, la guerre pourrait s'étendre aux pays voisins. Mais cette perspective, qui semblait évidente jusqu'à l'intervention éthiopienne, s'est relativement éloignée, puisque contrairement à ce que les observateurs attendaient, les Tribunaux islamiques qui tenaient Mogadiscio ont été renversés en quelques jours.

Ben : Ne croyez-vous pas que l'ingérence de l'Occident est à l'origine du chaos dans ce pays, sinon comment expliquer cette stabilité pendant six mois du règne des Tribunaux islamiques ?

Philippe Bernard : La stabilité était relative. C'est vrai que les Tribunaux islamiques se sont rendus populaires en rétablissant l'ordre, après quinze ans de guerre civile. Mais leur popularité était surtout due à la haine de la population à l'égard de leurs adversaires, les chefs de guerre, qui eux avaient entretenu la guerre civile et avaient été soutenus récemment par les Etats-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste. Mais l'ordre qu'ils avaient fait régner à Mogadiscio brimait plusieurs catégories sociales, notamment les femmes, dont les activités commerciales avaient été interdites et qui n'étaient plus autorisées à se promener dans la rue qu'en compagnie de leur époux.

Mohamed : Les Etats-Unis ont soutenu un retour des warlords (seigneurs de la guerre), au nom de la guerre contre le terrorisme en Somalie et ont du coup précipité la victoire des islamistes en juin-juillet 2006. Aujourd'hui, alors que le gouvernement fédéral de transition (GFT) fait son entrée à Mogadiscio avec le soutien des forces éthiopiennes, pourquoi soutenir encore la présence de ces seigneurs de guerre qu'ils ont autrefois combattus ? Tout le monde s'accorde à dire que les islamistes avaient réussi à restaurer l'ordre et la sécurité dans leur zone sous contrôle, et à Mogadiscio en particulier. Cette alliance opportuniste, Ethiopiens, GFT et warlords a-t-elle vraiment des chances de tenir ? Combien de temps ? Et les islamistes sont-ils morts ?

Philippe Bernard : Il faut distinguer les chefs de guerre du gouvernement fédéral de transition (GFT).
Les Etats-Unis, effectivement, ont soutenu les chefs de guerre, mais avant l'offensive éthiopienne de décembre, ils n'ont jamais réellement soutenu le GFT, dont l'état de faiblesse était patent. Ce GFT comprend effectivement des membres liés aux chefs de guerre, mais il ne se résume pas à cela. Tout l'enjeu aujourd'hui est de savoir si ces dirigeants vont avoir le courage d'ouvrir leur gouvernement à toutes les composantes de la société somalienne, y compris ceux qui se réclament de l'islam. Les pressions en ce sens sont très fortes, mais il est à craindre que les responsables du GFT ne soient réticents à cette ouverture, qui menace les positions acquises par certains d'entre eux. Les déclarations du président Yusuf faites hier, excluant un dialogue avec les islamistes, confirment ces craintes. L'alliance entre Ethiopiens, GFT et chefs de guerre est en effet précaire, mais la manière relativement pacifique avec laquelle les Ethiopiens sont entrés dans Mogadiscio semble montrer que leur présence fait l'objet d'un accord, au moins pour le moment, de la part de certains chefs de guerre. Même s'il est précaire, le calme actuel dans la capitale semble confirmer cette interprétation.

Nico : On sait que le territoire de la Somalie a toujours été très fractionné historiquement, entre Puntland et le reste. Ce qui m'intéresserait, c'est de savoir comment se perçoit la population. Se sent-elle somalienne? En fonction de quoi se définit-elle d'abord ? La religion ? Autre chose ? Bref, cet "Etat" a-t-il une existence et une légitimité aux yeux de la population ?

Philippe Bernard : Il est évidemment très difficile de répondre globalement à pareille question. Dans un pays où la guerre empêche tout contact général avec la population et où les communications sont plus que difficiles. Il est vrai que depuis son indépendance le pays a toujours été morcelé et que la guerre civile qui sévit depuis 1991 n'a rien arrangé. Mais ce sont surtout les divisions en clans et sous-clans qui ont empêché jusqu'à présent l'émergence d'un Etat unifié. Tout le problème de la paix vient de là. Mais il est vrai aussi que les Somaliens ont une existence ethnique qui dépasse les frontières du pays. Quant à la religion, même si elle est prégnante et semble un facteur d'unité, elle n'est pas le point que les personnes que j'ai rencontrées mettent en avant dans les problèmes actuels.

TH : En somme, entre une Erythrée exsangue et des Tribunaux islamiques défaits, le risque de guerre régionale vous semble-t-il écarté ?

Philippe Bernard : Sur le plan militaire, la victoire éthiopienne paraît écarter pour le moment les ambitions érythréennes, et les Tribunaux islamiques semblent en effet défaits. Mais l'histoire récente, notamment l'équipée américaine dans les années 1992-1995, montre qu'il n'y a aucune solution militaire dans ce pays et que l'enjeu central est sa reconstruction politique. On peut craindre que le déséquilibre des efforts entre le volet militaire, ultra-prioritaire, et le volet politique ne conduise à une relance de la guerre civile.

Angel : Quels sont les moyens militaires mis en œuvre par les belligérents ? Disposent-ils d'armes technologiques ou bien de moyens tout à fait classiques ?

Philippe Bernard : Les belligérants en question sont extrêmement discrets sur ce plan. Il semble cependant que l'armée éthiopienne, bien entraînée et bien équipée, ait affronté en décembre des milices islamiques qui comptaient surtout sur le nombre et la ferveur de leurs jeunes combattants. Mais les bombardements américains de ces derniers jours sur le sud de la Somalie confirment l'implication directe des Etats-Unis, dont les drones et les éléments aériens ont participé aux combats, probablement depuis la base de Djibouti. Les aéroports éthiopiens ont aussi pu servir aux Américains.

Cec : Quels sont les véritables enjeux de cette guerre ?

Philippe Bernard : Pour les Somaliens, qui sont les principaux intéressés, l'enjeu est le retour à la paix. Le sentiment de lassitude extrême à l'égard de l'insécurité est le premier qu'exprime la population de Mogadiscio. Cette paix, pour l'instant, est une paix éthiopienne. Aux yeux des dirigeants du GFT, c'est la seule manière d'asseoir leur pouvoir. Pour les Américains, l'enjeu est celui de la "lutte contre le terrorisme islamiste", puisqu'ils assurent que les Tribunaux islamiques, qui avaient pris le pouvoir à Mogadiscio, accueillaient des membres d'Al-Qaida, et notamment les responsables des attentats de 1998 contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. Enfin, pour les Ethiopiens, l'enjeu est officiellement la sécurité à leurs frontières et leur influence dans toute la Corne de l'Afrique.

Dom 23 : L'Ethiopie est un pays où vivent de nombreux musulmans qui sont peut être même plus nombreux que les orthodoxes éthiopiens, auquel on additionne sans discrimination les partisans toujours plus nombreux de différents mouvements évangélistes : on finit, par commodité, par créer la fiction d'une Ethiopie "chrétienne". L'intervention de l'armée éthiopienne contre les Tribunaux islamiques en Somalie ne finira-t-elle pas par polariser davantage les conflits religieux en Ethiopie même, alors que les différentes confessions vivaient jusqu'à alors (plus ou moins) en bon voisinage ?

Philippe Bernard : Il est frappant de constater qu'en Ethiopie l'intervention en Somalie n'a provoqué jusqu'à présent aucun débat à clivage religieux. L'opposition éthiopienne dénonce l'intervention en Somalie et demande le retrait immédiat de l'armée, mais aucun argument religieux n'est utilisé. Les chiffres officiels donnent effectivement une population somalienne partagée à peu près équitablement entre chrétiens orthodoxes et musulmans. Le pays a des institutions laïques. Un recensement prévu cette année et où la question religieuse sera posée permettra éventuellement de confirmer l'hypothèse avancée par certains de l'avancée démographique des musulmans.

Adil la nation djibouti : Après l'Irak et l'Afghanistan, la Somalie constitue-t-elle un nouveau point de friction entre l'islam et la chrétienté ? Ou s'agit-il tout simplement d'un nouveau front contre le terrorisme international ? Comment les Somaliens vont-ils accueillir la future force de maintien de la paix ?

Philippe Bernard : La nature religieuse du conflit me semble largement inspirée par des schémas venus de l'extérieur. L'armée éthiopienne elle-même est largement composée de musulmans. Quant à la guerre contre le terrorisme, pour l'instant, aucune arrestation de leaders identifiés d'Al-Qaida n'a été confirmée. Mais l'on sait que les Tribunaux islamiques étaient soutenus par un certain nombre de pays arabes. La future force de maintien de la paix, si elle est constituée de soldats venus de différents pays africains mais non éthiopiens, et surtout si elle parvient à maintenir l'ordre et à permettre la reconstitution des services qu'attend la population, pourrait être bien accueillie par les Somaliens.

LucienJ : Ce matin, il y a eu des bombardements américains contre des rebelles accusés d'être liés à Al-Qaida. Quels sont les intérêts américains dans la région ?

Philippe Bernard : Les intérêts américains sont plus d'ordre stratégique qu'économique. Il s'agit d'empêcher la "contagion islamiste" venue du Moyen-Orient vers l'Afrique. La constitution d'une très importante base américaine à Djibouti, la seule que possèdent les Etats-Unis sur le continent africain, témoigne de cette préoccupation. Aux yeux des Américains, la Somalie pouvait devenir un nouvel Afghanistan.

Look : Avec sa présence militaire à Djibouti, la France est-elle susceptible d'aider la Somalie comme le font les Etats-Unis ?

Philippe Bernard : Jusqu'à présent, la France ne s'est pas alignée sur la position américaine, puisqu'elle a réclamé très vite le retrait des forces éthiopiennes. La participation des forces françaises de Djibouti ne semble pas à l'ordre du jour, surtout à la veille de l'élection présidentielle française.

Chezidek : La population somalienne soutient-elle les Tribunaux islamiques ? L'intervention éthiopienne est-elle perçue en Somalie comme une invasion ?

Philippe Bernard : L'attitude des Somaliens est à la fois marquée par une hostilité évidente à l'égard des soldats éthiopiens et par une lassitude de la guerre civile qui fait apprécier à beaucoup de gens le calme précaire qui règne. Les Tribunaux islamiques, il est vrai, avaient eux aussi rétabli l'ordre, notamment en rétablissant la circulation à l'intérieur de la ville de Mogadiscio. Tout le problème est de savoir si les autorités nouvelles vont être capables d'en faire autant dans la durée. Mais aussi de rétablir notamment l'école et les services sanitaires, qui font cruellement défaut aux populations.

Julien777 : Quels sont les soutiens étatiques ou non étatiques des Tribunaux islamiques ?

Philippe Bernard : Il y a deux mois, un rapport de l'ONU avait établi les soutiens étrangers dont bénéficiaient, d'une part, les Ethiopiens et, d'autre part, les Tribunaux islamiques. Pour ces derniers, le financement et les livraisons d'armes venaient de pays comme l'Egypte, l'Iran, l'Arabie saoudite, et du Hezbollah libanais.

TH : Les Tribunaux islamiques vous semblent-ils capables de déplacer le conflit sur un autre terrain – guérilla, attentats en Ethiopie, etc. ?

Philippe Bernard : Bien sûr. Les Américains viennent d'ailleurs de mettre en garde, pour la deuxième fois en une semaine, contre de possibles attentats en Afrique de l'Est. La Somalie a elle-même connu, voilà un peu plus d'un an, son premier attentat-suicide, qui avait visé le gouvernement fédéral de transition à Baidoa. Il est évident que l'implication directe américaine depuis dimanche accroît ce risque. Les alliés du gouvernement somalien, au premier rang desquels les Ethiopiens, semblent particulièrement concernés. A Mogadiscio même, des chiffres font état d'un million d'armes en circulation pour deux millions d'habitants, armes qui pourraient être utilisées dans une guérilla menée par les membres des anciennes milices islamiques, qui n'ont fait que se disperser depuis la fin décembre. L'échec de l'opération de désarmement annoncée la semaine dernière par le GFT confirme ces craintes.

LucienJ : Il y a quarante-huit heures, Al-Qaida a publié un communiqué appelant au djihad en Somalie. Cet appel a-t-il une influence quelconque sur les parties en conflit ?

Philippe Bernard : Il est très difficile de répondre à cette question si l'on considère Al-Qaida plus comme une nébuleuse que comme une organisation formelle. Mais il est évident que les dirigeants des Tribunaux islamiques n'ont pas disparu comme par enchantement.

Pedro : De manière plus large, le conflit dans la Corne de l'Afrique constitue-t-il la toile de fond des rivalités entre l'UE, les Etats-Unis et la Chine pour contrôler le continent africain, ses axes de communication et ses ressources ?

Philippe Bernard : Pour l'instant, cette réalité apparaît surtout en toile de fond et ne s'exprime pas directement. Mais il est évident que le soutien appuyé de la Chine au Soudan, celui des Etats-Unis à l'Ethiopie et la présence française et américaine à Djibouti fournissent le décor d'une telle rivalité.

Cec : Comment voyez-vous la sortie de cette guerre ? Si sortie vous voyez...

Philippe Bernard : Cette sortie ne peut pas être militaire. Au mieux, l'intervention éthiopienne peut fournir l'occasion d'un début de règlement politique de la situation en Somalie. Au pire, elle peut être le début d'un embrasement général de la Corne de l'Afrique. Les Américains, jusqu'à ces derniers jours, intervenaient sous le couvert des Ethiopiens. Leur intervention directe risque de cristalliser les passions. Tout va dépendre de la rapidité avec laquelle l'Union africaine parvient à constituer une force de maintien de la paix. Cette question dépend elle-même des financements, jusqu'à présent très insuffisants, que les Occidentaux ont consentis pour la Somalie, dont ils prétendent cependant qu'il s'agit d'un enjeu primordial.

Chat modéré par Gaïdz Minassian

 

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